Un état civil pour les fœtus mort-nés
Ce sont donc des enfants !
C’est une révolution – ou une contre-révolution, plutôt ? Par trois arrêts de principe traitant de cas similaires, la Cour de cassation a posé le principe qu’un fœtus né sans vie peut être déclaré à l’état civil, quel que soit son niveau de développement. Cette reconnaissance juridique de l’enfant mort avant que de naître enfonce un coin dans le macabre consensus officiel à propos de son absence de statut. La jurisprudence la plus récente (et toujours en vigueur) qui refuse d’envisager l’existence d’un homicide involontaire sur un fœtus, celui-ci étant techniquement considéré comme une chose, est ainsi contredite avec éclat.
Cela fait plusieurs années que des associations venant en aide à des parents de tout-petits mort-nés (ou victimes d’une « interruption » dite « médicale » de grossesse entre 14 et 22 semaines d’aménorrhée…) militent et se battent devant les tribunaux pour obtenir cette reconnaissance. Elle est nécessaire pour dire la vérité de ces petites vies brisées ; elle correspond au besoin des parents, et surtout des mères, de voir la réalité de leur deuil reconnue ; elle rend possible en outre l’accès à certains droits sociaux qui ne sont parfois pas de trop dans des circonstances semblables, comme celui du congé de maternité. Surtout, elle permet de disposer dignement des petits corps, puisqu’elle offre aux parents le choix de faire procéder aux obsèques de l’enfant perdu.
Dans l’état actuel de la pratique administrative, tout bébé mort-né avant 22 semaines d’aménorrhée (20 semaines de grossesse effective) pouvait être traité comme un « déchet hospitalier ». Tout est d’ailleurs parti des parents d’une petite Clara, mort-née avant le délai fatidique : après son accouchement, la maman a demandé à voir le corps de son enfant. Demande refusée… Il lui a fallu enquêter pour savoir que le bébé avait été jeté dans l’incinérateur commun…
Cette pratique reposait sur la définition de l’enfant viable donnée en 1977 par l’OMS : un poids de plus de 500 grammes ou une grossesse de 22 semaines – on exigeait donc que l’enfant satisfaisant à l’un de ces critères eût respiré avant de mourir pour être inscrit à l’état civil. Le régime avait été un peu assoupli en 2001 par la grâce d’une circulaire qui permettait d’inscrire au livret de famille l’existence d’enfants nés sans vie après 22 semaines d’aménorrhée seulement.
La Cour de cassation a estimé que ces limites arbitraires ne correspondaient aucunement au droit civil en vigueur. Elle a cassé les décisions de refus d’inscription à l’état civil que la cour d’appel de Nîmes fondait sur l’âge et le poids de trois fœtus, morts entre 18 et 21 semaines d’aménorrhée et pesant entre 155 et 400 grammes, pour violation de l’article 79-1 du Code civil. Celui-ci « ne subordonne pas l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus ni à la durée de la grossesse », observe la plus haute juridiction, estimant que la cour d’appel a « ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoit pas ». Les affaires sont renvoyées devant la même cour, autrement composée.
Comment concilier cette reconnaissance (car c’est bien de cela qu’il s’agit) de l’humanité du fœtus dès avant sa naissance, et toutes les dispositions du droit et de la jurisprudence qui la lui refusent ? En réalité, la décision de mercredi ne fait qu’ajouter à la schizophrénie du droit qui permet l’assassinat remboursé des enfants à naître, et dans le même temps – et même en cas d’avortement tardif dit « médical », leur reconnaît une existence juridique dès lors qu’il y a eu accouchement.
Nous n’avons pas encore eu les arrêts de la Cour de cassation entre les mains et restons dans l’incertitude d’une nouvelle limite « basse » évoquée par certains médias : 16 semaines. Pourquoi cette distinction, qui ne semble pas avoir été visée par la Cour ? Elle correspond à peu près à ce que réclame l’association « Clara », citée plus haut : une reconnaissance à partir de 14 semaines… tout simplement parce que c’est le délai de l’avortement légal par simple volonté de la mère.
C’est dire qu’il reste des ambiguïtés.
Mais l’important, ici, c’est la victoire. Et elle a l’heur de déplaire à Chantal Birman, vice-présidente de l’ANCIC (Association des centres d’interruptions de grossesse et de contraception) qui la juge extrêmement dangereuse. « C’est nier l’histoire de la grossesse qui se construit dans le temps. Les femmes ne peuvent pas vivre avec de tels cimetières dans la tête ! »
Mais vivent-elles vraiment mieux quand un silence de mort les entoure, ces cimetières ?
JEANNE SMITS