Zero
Membre confirmé
Nous a rejoints le : 12 Mars 2006 Messages : 4 713 Réside à : Ailleurs
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J'avais déjà fait un commentaire un peu développé sur ce conte (qui a autant d'origines qu'il y a de pays existants )...
Je le recopie, non pas amour de ma prose mais parce je comprends pas bien comment mettre un lien vers un message précis de LTS (et c'est dans un fuseau de 9 pages quand même)
J'aimerais revenir un instant sur la parabole de l'éléphant...
Citation: En même temps, c'est une parabole qui va bien aux s#lö§s de relativistes dont je suis, et en tout cas, pas à tous ces catholiques qui réclament l'universalité de leur un message dès l'expression du nom de leur religion.
C'est en effet une jolie parabole, avec de belles leçons à tirer. Mais je ne crois pas que cette histoire soit recevable pour me faire renoncer à l'universalité de "mon" message...
Pour affirmer ça , j'ai deux (ensembles d')arguments. Un qui concerne les aveugles (argument philosophique), et un qui concerne l'éléphant (argument théologique. Je suppose que certains ici le jugeront irrecevable, mais je le mets quand même.)
Relisons la parabole. Elle met en scène un groupe de six aveugles désirant connaître l'éléphant par le toucher.
(Thème = Aveugle/sujet + connaissance + éléphant/objet + sensation)
La question est de savoir si un parallèle peut vraiment être fait avec l'homme à la recherche de Dieu...
1. a) Le premier problème des aveugles.
Première objection : l'homme n'est pas aveugle . Si on veut filer la métaphore, l'homme est mal-voyant certes, mais pas aveugle : il est doté une raison et la capacité de s'en servir (l'intelligence - c'est la raison en mouvement).
A partir de là, le réflexe des aveugles ne tient plus : en tant que mal-voyant, ils peuvent chacun toucher leur morceau et constater que l'ensemble [éléphant] ne se résume pas à leur morceau, ne serait-ce parce qu'ils distinguent une grosse masse floue de 3m. au garrot.
Conclusion partielle #1 : L'homme n'est pas l'aveugle de la parabole
Conclusion partielle #1bis : Il ne doit pas se fier à ses seuls sens pour connaître, même si ceux-ci sont la source de l'expérience.
Mais nous n'avons pas réglé la question. Les aveugles se disputent parce qu'ils n'ont pas réussi à aller plus loin que la seule info que leur a donné leur sens (le toucher). La question demeure : l'homme peut-il connaître Dieu en tant que réalité extérieure et objective ?
1. b) Le second problème des aveugles.
A bien y regarder, cette parabole est une sorte de résumé (très résumé ) de la Kritik der reinen Vernunft1 (Critique de la raison pure). Pas de panique, je m'explique. L'objectif de Kant, dans cet ouvrage majeur, est de découvrir s'il n'y aurait pas dans la sensibilité ou dans l'entendement quelque chose qui soit a priori2, ce qui permettrait d'expliquer comment les jugement synthétiques3 a priori (et donc, la science) sont possibles.
A cette fin, Emmanuel Kant s'applique d'abord à démontrer que le monde tel qu'il s'offre à nous est un monde de phénomènes4. Ces phénomènes sont quelque chose de tout à fait réel, mais ce ne sont pas les choses-en-soi. Le monde que nous appréhendons est celui qui apparaît à notre sensibilité.
(Attention, il ne s'agit pas d'un idéalisme comme Berkeley. La réalité, pour Kant, ne naît pas de notre conscience et ne s'identifie pas à elle, mais elle nous est inconnaissable)
Je vous épargne les démonstrations complètes, elles sont très compliquées . Mais la conclusion est que jamais notre connaissance ne rencontre les choses-en-soi, et que ces choses, nous ne pouvons pas les connaître pour ce qu'elles sont, en tous cas pas par notre seule raison . Dieu faisant partie de la réalité extérieure, il rentre aussi dans ce cadre, c'est d'ailleurs la conclusion même du livre de Kant : la croyance en Dieu relève(rait) uniquement de la croyance, non de la connaissance. "Il me fallait limiter le savoir pour faire place à la croyance", écrit-il.
C'est exactement la thèse de la parabole : la réalité [éléphant] ne s'est offerte aux aveugles que sous la forme d'une patte, d'une queue... et ces aveugles n'ont pas pu appréhender l'éléphant en entier.
OUI MAIS...
Oui mais Kant commet ici deux erreurs fondamentales. La première est commune aux philosophes Modernes et Contemporains : une relative peur/refus5 de la Métaphysique, et une sous-estimation de l'intelligence (pourtant il l'était prodigieusement, lui, intelligent)
Depuis Thalès, les gens recherchent les "causes" des choses. Platon est celui qui va apporter de façon définitive l'intelligibilité de l'univers, quant à Aristote, il va remonter des causes à la substance par son œuvre, Métaphysique.
Aristote décrit les cinq défaut habituels de l'intelligence, qui nous empêchent de connaître :
- Ceux qui n'admettent qu'un langage mathématique (Pythagore, Descartes, Cournot...)
- Ceux qui ne veulent que des exemples (Comte...)
- Ceux qui entendent que l'on recoure à l'autorité de quelque poètes ; l'argument d'autorité sans raison...
- Ceux qui exige pour toute chose une démonstration rigoureuse (Zénon, Spinoza... et les sophistes de tous les temps)
- Ceux qui jugent la force de la pensée toujours excessive (les sceptiques, Gorgias, Montaigne, Pirandello... et au final tous ceux qui en viennent à considérer que la vérité n'est pas objective)
Il ne faut pas se laisser entraîner dans ces pièges . Pour savoir ce qu'est une chose, il faut que mon intelligence passe des choses singulières (que sont les parties de l'éléphant) à l'universel de l'être (l' [éléphant] ). Je vais devoir les considérer dans l'agencement des causes, ces causes qui permettent à cet éléphant d'être et de subsister. Ça, c'est la science : la connaissance certaine par les causes.
Mais le regard de mon intelligence peut aller encore plus profond : cet éléphant existe, et moi qui contemple touche, j'existe aussi. Et pourtant je ne suis la source ni de l'éléphant ni de moi-même. Quelle est cette cause supérieure, la cause des causes ?
Alors l'être, c'est quoi ? Aristote nous répond : c'est ce qui est sous la qualité, les accident, la quantité... c'est la substance. (bon le mot "être" relève de plusieurs sens mais si je détaille tout, on n'est pas rendu... )
On découvre donc le réel au cœur de chaque chose, en tant que ce réel est substance. Et qu'est-ce qui fait que cette substance sensible, que cette rose, ce poisson, cet aveugle, cet éléphant soit telle substance et pas une autre ?
- La matière et la forme
- L'acte et la puissance
- L'un et le multiple
Voilà comment l'homme peut connaître les choses, les réalités extérieures.
Je vous laisse avec une petit citation du maître himself, qui prévoit d'un coup 2300 ans d'objections :
« Il ne faut pas écouter les gens qui nous conseillent, sous prétexte que nous sommes des hommes, de ne songer qu'aux choses humaines, et, sous prétexte que nous sommes mortels, de renoncer aux choses immortelles »
(Éthique à Nicomaque, 1177a 1179)
Conclusion partielle #2 : l'homme peut, par sa raison, atteindre Dieu.
(D'ailleurs je vous fais grâce des derniers chapitre de la Métaphysique, où Aristote prouve l'existence de Dieu y'en a encore qui vont s'offusquer en disant que j'essaye d'imposer mes croyances, gna gna gna... )
2. Quant à l'éléphant...
Oh, ça c'est beaucoup plus court. L'éléphant de la parabole se laisse tâter, certes, mais sans plus. Il n'a même pas l'air de se rendre compte que des aveugles sont près de lui puisqu'il ne bronche pas.
Il y a donc une différence fondamentale avec Dieu, car Dieu, lui, s'est révélé à l'homme !
Conclusion partielle #3 : l'homme qui pouvait atteindre Dieu par sa raison (dans une certaine mesure) peut aussi l'atteindre encore mieux par sa foi.
Conclusion finale : l'homme n'a pas à renoncer à une connaissance objective de Dieu, ni à l'universalité de cette connaissance.
Tout homme a le désir naturel de savoir
(Aristote)
Connaître, c'est la responsabilité de l'esprit
(Henri Hude)
1 Dont je ne suis pas spécialiste, mais que je connais un petit peu quand même, hein.
2 En langage kantien, les énoncés a priori sont des énoncés qui, en tant que condition de la pensée, appartiennent à l'esprit.
3 Le "jugement synthétique" est celui où le prédicat ajoute quelque chose au concept du sujet.
4 Erscheinung = en grec, phainomenon = apparence
5 Il suffit de regarder autour de soi, quelles sont les réaction des gens quand vous dites le mot "métaphysique"... Pour les philosophes modernes, c'est globalement pareil. Le dictionnaire de Lalande en donne sept définitions, la Sorbone a jadis remplacé le terme par "philo générale" et les manuels ont abandonné jusqu'à la chose... C'est triste.
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