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Auteur
La Route de Pierre Schaeffer
Morzini
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Ci-dessous mon analyse du "roman" Les enfants de cœur de Pierre Schaeffer (Editions du Seuil, 1949) écrite pour la Lettre du COPSE.

C'est long à lire, mais ça peut lancer une discussion sur la Route dans la société, l'évolution de ce que fut cette Route des Scouts de France et ce qu'elle est, les différentes branches aînées selon les mouvements et leur rapport avec la société ... etc.

Bref, à lire et commenter !



Pierre Schaeffer est connu hors scoutisme pour ses émissions de radio pendant la guerre, et surtout pour la musique concrète. Pour les scouts qui connaissent son implication dans le mouvement, il représente la Route des étudiants (clan des Rois mages, revue L’Etoile filante, le jeu dramatique. Pour moi, ancien du Clan Clotaire Nicole, dont il a écrit la biographie, il fut un routier d’exception qui méritait bien une place dans La Lettre. Nous allons donc nous intéresser à son deuxième « roman », Les enfants de cœur.

Le début de ce roman est un peu dur à suivre. Simplifions :
- Clotaire Nicole, routier du clan des Rois Mages, à l’école Polytechnique, s’est malheureusement tué en montagne en 1932.
- L’année suivante, Luc, un routier du même clan, se rend à l’endroit où Clotaire a fait cette chute mortelle … et tombe lui-même, se blessant gravement.
- Simon, routier lui aussi à l’X vient de Toul en train rendre visite à son ami hospitalisé.
Le roman s’ouvre sur les réflexions existentielles de Simon que nous suivons ensuite au fil des pages dans son évolution de jeune chrétien et dans ses questionnements intimes. Nous le verrons ainsi servir à Lourdes, participer à la revue La Route, nous confier ses considérations sur les mouvements de jeunesse et certains personnages, servir la messe de mariage d’un ami responsable de la Route des années trente etc....

Le récit est assez difficile à suivre au début en raison de phrases complexes (qui correspondant aux réflexions complexes elles aussi du narrateur sur le sens de la vie). La force de la narration réside surtout dans ces phrases géniales dont on pourrait, sorties de leur contexte, faire des maximes, mais aussi dans la vision que Simon/Pierre Schaeffer donne de la société et du scoutisme (parfois acerbe), ainsi que dans cette écriture qui passe du récit à la 3ème personne à une narration plus incarnée, au « je », rendant le lecteur presque complice. Alors, est-ce un roman ? une autobiographie ? C’est tout ça à la fois, Simon le narrateur = Pierre Schaeffer.
Ce livre constitue un témoignage, mais aussi une analyse du scoutisme des années trente.

Voyons plus en avant de quoi il retourne.

I. Les enfants de cœur, un livre sur l’amitié

Simon accorde une grande place à ce lien d’amitié qui l’unit à plusieurs personnages du « roman », à commencer par Luc. Mais qui est Luc dans la vraie vie ? Difficile à dire. Le personnage de Luc (un chef parfait) aide Simon/Pierre Schaeffer à progresser, à se positionner, à analyser sa situation jusqu’au dialogue final. En tout cas les échanges entre Luc et Simon/Pierre sont riches de réflexions profondes et donnent à certains passages des airs de Jacques le Fataliste et son maître (d’ailleurs parfois c’est un peu comme dans le bouquin de Diderot, on ne sait plus si certaines considérations sont de Luc, de Simon/Pierre ou des deux/trois … et si Luc était Pierre ? Possible, car dans la bio de Clotaire Nicole, il n’y a pas de Luc qui retourne un an après sur les lieux où Clotaire est mort. Celui qui y retourne, c’est Pierre Schaeffer lui-même !
On sent que Pierre Schaeffer a été marqué par la disparition de son ami Clotaire. A plusieurs reprises, il évoque l’impuissance devant la mort (parfois avec une certaine ironie, voire même de l’humour, certainement un exutoire).


Le personnage de Françoise est important aussi, les femmes ayant leur place dans cette nébuleuse scoutisme/polytechnique très masculine. Carrière et Portier sont cruciaux, ainsi que le Père Diamant et le père Vandoeuvre et bien d’autres encore. Sans oublier, bien sûr, la figure omniprésente de Clotaire Nicole.

Pierre Schaeffer a un souci constant de transcrire la réalité, au risque de heurter ses amis, qui se reconnaîtront certainement en 1947 à la sortie du livre. Cet aspect nous éloigne quelque peu du « roman » et nous rapproche du pacte de vérité inhérent au genre autobiographique. L’auteur prévient (dans une sorte de préface placée au beau milieu de l’ouvrage) :
« Dire la vérité c’est d’abord trahir, puis poignarder. Je le ferai. »


II. Un témoignage sur la Route des années 30.

C’est une Route naissante, qui ne cesse d’explorer des pistes, on le voit dans l’évocation des têtes pensantes, les commissaires de la branche route Carrière et Portier (dont les traits correspondent à ceux d’André Cruiziat, autodidacte issu d’un milieu ouvrier et Pierre Goutet, catho d’un milieu grand-bourgeois). Ce seront, avec Pierre Schaeffer, de véritables théoriciens et alchimistes de la Route, très complémentaires, « mélange de sacré et de profane », et le « roman » s’en fait l’écho. Ils occupent une grande place dans le récit, une place centrale puisque Simon (Pierre Schaeffer) sera servant de messe au mariage de l’un d’eux (faut-il faire le lien avec le titre du « roman » ?).

C’est une Route qui croit en la force du discours. Celui du chef de Clan, celui de l’aumônier, celui du père Diamant (qui n’est autre que le père Doncoeur), figure forte de la Route et de ce livre. « Simon est fasciné par le père Diamant », qui apparaît ici comme un véritable meneur d’hommes, qui sait galvaniser les jeunes.

« Vous commencez à être assez grands pour savoir ce que vous faites. Ne vous attardez plus à des jeux d’enfants. On attend de vous des gestes d’hommes. Autour de vous beaucoup ont choisi, et beaucoup de ces choix sont respectables. Sachez ce que vous avez choisi, ne le déguisez pas, ni à autrui, ni à vous-même. Vous avez choisi de suivre quelqu’un qui s’est fait tuer. Le disciple n’est pas logé à meilleure enseigne que le maître. Osez regarder en face la Route où vous vous engagez. Il est encore temps de reculer. N’y marchez pas à contrecœur. (…) Soyez virils en face d’un Christ viril. »
« Le Père Diamant toise son auditoire d’un regard impérieux. Simon sait bien ce qui se passe. Le Père est une force. Le Père a choisi. Le Père y a passé. Le Père a été à Verdun. Il a aidé trop de fantassins à mourir. (…) C’est facile de parler de mourir dans une clairière d’Ile de France, le matin de la Pentecôte. Simon veut bien mourir, ce n’est pas cela qui est difficile ; il est difficile de vivre. Simon veut vivre.

D’aucuns auront noté la référence au cérémonial du départ routier (« un routier qui ne sait pas mourir n’est bon à rien, mais il est parfois plus difficile de vivre »).

La route dont nous parle Pierre Schaeffer ne fait pas exception, elle rentre par les pieds. Voici par exemple le récit d’un Routier (qui en même temps fait l’éloge du RP Doncoeur) :

« En Pologne, avec le Père, c’était (…) marcher, marcher le plus possible, jusqu’à ce qu’on en ait vraiment marre, alors tu vois si vraiment tu tiens le coup ; et puis, quand on croit qu’on va tomber de fatigue, l’arrivée chez les gens, leur extraordinaire accueil. Là, tu verrais le Père opérer. Les gens ne veulent plus le laisser partir le lendemain. (…) et de se remémorer l’itinéraire de Pologne, le jour des soixante kilomètres, le jour sans pain, le jour où Bernard avait des ampoules comme des soucoupes. (…) Et le petit village où le père a baptisé ses hôtes, toute une famille de Juifs, s’il te plaît. Ils disaient que le Père était un Prophète.
- Ils ne croyaient pas si bien dire, fait Georges avec amour
(… c’est leur point faible, songe Simon, ils adorent être embrigadés. Ils appellent cela : avoir une doctrine».

On voit là aussi que Pierre Schaeffer fait réfléchir son narrateur par rapport à sa propre expérience. Lui-même a été un adepte, avec son clan des Rois Mages, des routes dures et exigeantes du Père Doncoeur. 15 ans après, en 1947, il analyse la force et l’influence de Doncoeur sur une certaine jeunesse. Pierre Schaeffer a vieilli, mais surtout, même si aucune allusion n’y est faite, la guerre aussi est passée par là avec les choix qu’il a fallu faire …

Cette Route des scouts de France est aussi celle des grands rassemblements, des rallyes, (mise en scène imparable et bien calculées pour emporter l’adhésion de tous et même des plus réticents.

« Les cinq cents routiers, d’une seule voix, chantent avant la communion ; sur un mode grégorien, ce texte composé par eux. (…) Simon, qui se joint aux autres routiers en chemin vers l’autel, sent qu’il s’incorpore à un tout comme un organe qui a trouvé sa place. Mais, bien plus encore, Simon s’incorpore à lui-même, il se résout. On ne peut pas nier cette alchimie. »

Simon/Pierre Schaeffer montre un scoutisme qui fait évoluer certaines pratiques religieuses, qui propose un renouveau des célébrations.

« Je n’aimais pas ces types qui hantaient la sacristie, chouchoux des vieux chanoines. Les scouts avaient réhabilité la liturgie : c’étaient les montagnes qui nous servaient de sacristie et nos chanoines avaient trente ans ».

Le lien entre les chefs et les curés n’est pas toujours simple. Entre connivence et méfiance réciproque, là encore, c’est souvent une question de personnes. Au curé de la paroisse qui reproche aux scouts de recruter dans les « patro », Simon préfère de loin l’aumônier du clan, qui est de toutes les Routes, qu’on appelle simplement « l’abbé » et qui est excellent (il s’agit certainement du père Etienne Joly).

De plus, cette Route qui nous est montrée doit être au cœur du pays. On envoie donc les clans faire des camps dans des villages, on demande aux scouts aînés de connaître leur pays, leurs traditions, la vie concrète des Français. Simon/Pierre Schaeffer en parle. Un camp a lieu dans un village où les Routiers servent en ramassant des patates. Et ça n’est pas toujours facile pour les jeunes, comme on le verra plus loin.

Ce souci de s’impliquer dans la vie sociale est une problématique constante des chefs routiers. Pierre Schaeffer, ou devrais-je dire Simon, n’en est pas exempt. Il évoque ainsi l’expression théâtrale qu’il met en place dans son clan (devenu un laboratoire de pédagogie et d’action sociale) et qui est un véritable succès (c’est dans l’air du temps, Léon Chancerel & Doncoeur puis les comédiens routiers). Pierre Schaeffer est d’ailleurs l’auteur de plusieurs pièces ou saynètes, comme par exemple Mystère des Rois Mages, nocturne aux flambeaux, joué notamment dans les Noël routiers (édité par La revue des jeunes, dont on parlera plus loin).

Dans Les enfants de cœur, la Route a une revendication d’action sociale, (mixité sociale, services, mais aussi égalité hommes/femmes (dans une certaine mesure … on est dans les années trente). « La femme est aussi une personne » nous déclare-t-on dans une brochure (la Route ?) rapportée par Simon. Cette Route propose un « christianisme incarné (…) gonflé de préoccupations réalistes. On dépannait des types, on se cotisait … »

Cette Route des années trente est celle du service et de la prière, mais n’oublie pas pour autant les jeux. Ils doivent être virils, préparer à affronter la vie et former une jeunesse française forte. Le perdant peut se retrouver en slibard dans la forêt, dépouillé de ses habits. Le personnage de Luc raconte un jeu Routier qui fut une grande réussite, où les patrouilles s’affrontèrent sur une grande zone géographique (pas au foulard) pour de la nourriture (en gros, celui qui perd la saute et rentre à pince). Pour l’anecdote, on trouve une description très précise de ce jeu dans la revue La Route de février 1935. Trouver qui signe P. G. dans cette revue nous permettrait de mettre un nom sur l’énigmatique personnage de Luc.


Pas de pudibonderie non plus : le routier est respectueux mais n’est pas voué forcément au célibat (on appréciera l’humour dans la description qui suit) :
« Le facteur femme entrait à son tour dans le jeu » (…) « sous la vigoureuse impulsion de Carrière, les routiers et les cheftaines se rencontraient en des occasions moins convenues que les fêtes de groupe, les promesses, et autres circonstances où ces pauvres filles, mal fagotées dans des jersey ingrats, apparaissaient comme le rebut de leur sexe. Nos sœurs les cheftaines pouvaient être assez bien tournées, n’être pas bégueules et, pour ce qui est des rapports entre garçons et filles, rompre avec toute pudibonderie, toute bigoterie préservatrice. »


Enfin, la thématique du choix revient souvent dans ce « roman ». En effet, car finalement, être routier, c’est faire des choix, à l’image du bâton routier, fourche qui propose deux cheminements possibles. En cela, les enfants de cœur est vraiment le livre d’une Route, avec ces âpres discussions entre Simon et lui-même pour savoir s’il s’occupera par affinités et par facilité du clan ou s’il relèvera le défi de prendre en main la 110ème Paris. Ou encore qu’est-ce que l’amitié ? Comment être chrétien dans le monde ? En quelles valeurs croire ? être écrivain ?

Peut-être que ce livre marque le passage de la jeunesse (le scoutisme) à l’âge adultes (en somme, un départ routier …)



III. Une vision très réaliste et sans concession du scoutisme

La biographie panégyrique, la nécrologie de Clotaire Nicole qui précédait les enfants de cœur tenait peut-être un peu du mythe. En tout cas Clotaire y campait un routier d’exception, le modèle à suivre. Dans Les enfants de cœur, on retrouve certes des héros presque mythiques (Luc par exemple), mais le scout parfait est remis en question. Le « roman » présente d’un côté une Route presque ascétique qui doit être une élite, et de l’autre un scoutisme imparfait qui montre bien des faiblesses. Et si le livre est annoncé sur la première de couverture comme étant « un roman », on peut franchement se demander où est la part de romanesque et d’aventures héroïques quand on entre si crûment dans la réalité, dans les problèmes.

À plusieurs reprises nous sommes bien éloignés de l’imagerie gentillette que proposent les romans scouts. D’ailleurs le lecteur n’est pas le même et, surtout, l’enjeu est sensiblement différent ! L’œil désabusé de Pierre Schaeffer nous montre plusieurs aspects du scoutisme des années trente. C’est « un truc énorme », mais avec des problèmes et des disfonctionnements (à l’image du « dahut », ce routier présenté au début, un gars excellent mais une « gueule de travers », qui a subi une « totémisation assez vache »). Le scoutisme ne prend pas toujours, ou du moins, il n’est pas parfait. Ce désenchantement, cette analyse, on la retrouve plutôt dans l’après-guerre, après l’échec des Chantiers quand on s’aperçoit qu’on ne peut pas imposer le scoutisme pour sauver la société, tout le monde n’est pas fait pour être scout. Pierre Schaeffer l’avait compris.
Relevons quelques lignes dont la description truculente et tellement vraisemblable, d’une patrouille de la 110ème Paris :

- Lynx prêts à bon …
- DIR
Drôlement prêts à bondir, les Lynx ! Quelle patrouille ! Un C. P. corse, orgueilleux comme un paon, un second bon élève et poule mouillée, plus le grand Maille, plus un novice mal dégrossi, et enfin un louveteau que la cheftaine a fini par passer à la troupe pour les raisons ordinaires : il n’était plus supportable à la meute.
- Coqs braves et …
- FIERS !
Drôlement fiers, les Coqs : dégingandés, mollasses, tenant à peine debout. Patrouille tout aussi défavorisée. En désespoir de cause, Simon y a nommé C. P. un novice qui paraissait tout de même mieux que trois anciens sans espoir. »

Que celui qui n’a jamais connu une telle patrouille me lance la première bière !

Plus loin, sur le même thème :
« Simon entonne le « Salve Regina ». Jamais cette troupe décidément ne sera capable de chanter (…). Dimanche morne : un grand jeu dans les bois de Verrière, un peu raté. Les Coqs s’étaient perdus ; on les avait cherchés pendant des heures, puis retrouvés à la Patte d’Oie, les trois scouts en titre buvant un verre de bière, tandis que le Novice-faisant-fonctions-de-C. P., stoïque mais désemparé, demeurait à l’extérieur, déclinant toute responsabilité. (…) ».

On est loin des images d’Epinal.

Le scoutisme fait prendre conscience à Simon, chef scout et chef de clan, de la réalité des différences sociales et du choc entre les milieux sociaux que le scoutisme ne peut pas forcément résoudre.

Par exemple lors d’un camp, les routiers aident un village en ramassant des patates :
« Honte de l’effet produit par les routiers sur les paysans. Un immense malentendu doit régner, selon moi, entre tant de fantaisie et un si rude réalisme ». Mais finalement, il y aura rencontre et partage au bout de quelques jours.

Simon a peur d’être incompris par les scouts « de la rue » dont il est le chef. C’est effectivement un « ratage », il y a trop de décalage entre ses aspirations d’intellectuel polytechnicien, sa façon de parler et le recrutement populaire de sa troupe. La mixité sociale a ses limites et se heurte à l’incompréhension, aux préjugés, aux différences. Seul un gars comme Clotaire Nicole, avec une forte personnalité peut s’imposer dans n’importe quel milieu.

On a aussi l’impression parfois que la hiérarchie dans ce scoutisme est très pesante, les « huiles » ne sont pas toujours légitimées. Pour preuve, cette courte phrase sur un certain général (commissaire de District) Rosier : « Quand on est colonel dans l’armée, on devient vite général chez les scouts ».


IV. Un regard réaliste sur la société des années trente.

Le récit de Pierre Schaeffer est une bonne source de renseignements réalistes sur la France de l’Entre-Deux, en particulier le milieu catho. Diverses tendances sont présentées, on (re)découvre des revues, des personnages importants, des questions de fond sont posées : est-ce une piété de façade ou est-ce toujours authentique ?

À ce titre, citons le chapitre où Simon rend un service routier à Lourdes et, tout en faisant preuve d’une grande ferveur, démystifie ce lieu qu’il situe entre mascarade et dévouement honnête. Le lecteur ne sait plus trop … En tout cas, les descriptions ne sont « pas piquées des vers ! »

« Pourquoi tout ce commerce, chapelets en gros, vierges lumineuses, gobelets-souvenirs, en parallèle avec les litanies, les invocations et les processions ? Et cette foule dégueulasse ? Gros hommes aux genoux poussiéreux, familles avec leurs trois enfants, aigres petites jeunes filles qui sentent mauvais, flanquées quelquefois d’un fiancé, brochettes de paroissiens – mâles ou femelles – mémères, vieilles punaises, râleuses et indisciplinées, sous la houlette de curés homériques, heureusement dépossédés de l’autorité canonique par des barbus à chapelets, portant bretelles comme une étole, par de grands vicaires galonnés de violet, et par des ouvriers de la dernière heure comme nous, boy-scouts sans vergogne, les parvenus de cette confuse hiérarchie ? … »

Et ça continue plus loin :
« Les vieux boivent un pot. (..) En les voyant, Simon rigole en dedans : il les déteste un peu plus, mais ne les en admire pas moins. Millac avec des gestes courts raconte » l’anecdote de ceux qui boivent l’eau sale dans laquelle sont plongés les malades. « Qu’est-ce qui nage là-dedans, des bouts de pansements, des bouts de barbaque. Heureusement qu’ils sont pas tous à sortir du pus, sinon on pourrait y planter la cuiller ». Cette anecdote appétissante introduit une réflexion sur le sens de la souffrance. Doit-on expier ? S’ensuit une réponse vague, pas très palpable, pas négative finalement. « À quoi ça sert de boire l’eau dans laquelle ont macéré les malades ? » Simon s’oblige ensuite à réciter le rosaire les bras levés. Ça a l’air de rien mais c’est vite insupportable et interminable. Il se sent observé et ne peut pas abandonner. Cette prière dans la difficulté trouve peut-être du sens au milieu de tous ces malades. Mais la réponse de Simon n’est pas franchement éloquente. Peut-être que la question est plus importante que la réponse ?


V. Les enfants de cœur : le questionnement constant d’un Routier ?

Est-ce que le camp scout c’est la vraie vie ?
Dans l’extrait qui suit, le clan des Rois Mages récolte des pommes de terre en guise de service pendant un camp, véritable immersion en plein cœur de la France rurale. Le narrateur a du mal à se positionner entre un monde agressif et un camp scout presque hors du temps :
« Le vide du camp me donne brusquement le vertige. Je me retrouve, comme ce matin, à la frontière de deux mondes, celui du trop-vrai-pour-être-beau, celui du trop-beau-pour-être-vrai. (…) L’un est rempli de menaces : cimetière et hôpital, banlieue morte, marché bruyant, le fardeau du passé et de l’avenir. Ici rien que les heures d’un présent façonné selon les lois d’une fraternité harmonieuse, d’où le mal est déraciné. Entre ces deux mondes, je suis en éclaireur, en enfant perdu, incertain de son message ».

Cette question en amène une autre que pose Simon (Pierre Schaeffer), et qui est centrale : comment être routier tout le temps, et pas seulement pendant les activités ? Comment être chrétien dans la société ?

Simon fait le tour des mouvements de jeunesse (patro, foucotteurs de Nancy, ACJF et j’en passe) afin de voir comment être un chrétien impliqué dans la vie de la cité, et par là même, dans le social. C’est assez intéressant car nous avons là un panel d’associations qui nous sont dépeintes, dont, entre autres :

La JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) : « Les jocistes ont résolu la question : le Christ à l’atelier. Ils ont des brochures de propagande, des meetings, des techniques de contact. (…) Simon (…) reconnaît que c’est un peu plus sérieux que la Route, plus incarné. Mais Simon se méfie (…) stade, podium, emblèmes, foule immense, hauts-parleurs » … c’est trop mis en scène. « Le Christ ouvrier ? Et après. Pourquoi pas paysan ? Faut-il un Christ spécial pour les électriciens, pour les chimistes ? Simon aime encore mieux la chaîne d’amour et la pagaïe de Bierville (Auberges) que cette pieuse entreprise de propagande »

Les Auberges de Jeunesse, grandes rivales du scoutisme. Simon y reconnaît une grande fraternité et un esprit d’ouverture assez impressionnant, mais s’y sent mal à l’aise, il n’y a aucune organisation sérieuse, tout est fait « à l’arrache » comme on dirait maintenant, c’est le « grand n’importe quoi, (…) un grouillement incroyable de garçons et de filles chantant, mangeant, partageant des bas-flancs et des carpettes à la bonne franquette, le tout dans une atmosphère de camaraderie bourrue, sympathique, terriblement pagaïe. En principe ça ne devrait pas marcher. Les communautés ne marchent jamais dans ces cas-là, c’est connu. En fait, ça marche à hue et à dia, mais tout le monde finit par avoir à bouffer, et de quoi dormir. Simon cherche d’où vient l’autorité. C’est une autorité diffuse qui ne cristallise nulle part, le consentement voisinant constamment avec la révolte, la gentillesse avec la vacherie (…). Aucune instance centrale. (…) Au rallye routier, qui s’était déroulé dans une bonne volonté exemplaire, y avait-il l’équivalent de cette communauté diffuse, de ce « tonus » ? C’était tout différent. Chez les routiers, c’est consenti, c’est un ordre. Ici, où tout le monde se rebiffe, c’est la révolution permanente. On trouve toutes les classes sociales (…). Manger, dormir, rigoler ».

Les équipes sociales : Simon/Pierre Schaeffer fait plusieurs brèves allusion à ce mouvement dont il a semble-t-il fait partie pendant un moment, basé sur la rencontre et la mixité sociale, dans la continuité de ce grand mélange vécu dans les tranchées, chrétien mais sans dogmatisme. Il y a de tout dans ces équipes sociales, jusqu’aux « souteneurs avec leurs poules », des gars déclassés mais les prolétaires ça n’est pas ça ». Simon/Pierre est ami avec un des animateurs de ce mouvement, Richard/Georges Lamirand, un type présenté comme très généreux, accueillant. Robert Garric (le fondateur) est présenté également comme un type bien.

La revue des jeunes : Simon, grâce à son action de premier plan avec ses routiers du clan de l’X se fait des relations parmi les « têtes pensantes » du mouvement, et de fil en aiguille, il va être amené à rédiger des articles dans La revue des jeunes (revue chrétienne d’inspiration sociale) et y consolider son envie d’écrire. L’Eglise est au cœur de la cité, elle a des préoccupations sociales. Les réponses aux questionnements du jeune Simon/Pierre Schaeffer se trouvent certainement dans cette revue … et en y écrivant, il les donne lui-même ! On trouve aussi l’évocation très élogieuse du Père Forestier (sous le nom de «père Vandoeuvre), leader de La revue des jeunes et avec qui Simon/Pierre partage une grande complicité, et un certain esprit critique. Notons que le clan des Rois Mages ainsi que plus tard l’ensemble des clans des grandes écoles éditait mensuellement un cahier intitulé L’étoile filante traitant essentiellement de la Route et dont Schaeffer fut un moteur.


Et la politique dans tout ça ? Pierre Schaeffer, ou plutôt Simon évoque une distorsion : on doit être chrétien dans la société, mais être chrétien tous les jours c’est un peu faire de la politique car c’est trouver des solutions pour vivre et avancer ensemble. Or, pour les dirigeants de la Route, on ne fait pas de politique dans le scoutisme : « Ne pas compromettre le Mouvement. Soyez scouts, d’une part, politiques de l’autre. Il ne faut pas empêcher les routiers d’adhérer au mouvement de leur choix ». Et Simon-Pierre Schaeffer de rajouter que beaucoup de scouts seront dépassés par les événements, n’ayant pas vraiment de conscience politique (à part le respect de la patrie et de la hiérarchie). « Le 6 février 1934, la plupart des chefs et des routiers ne comprennent pas ce qui se passe. »

En définitive, tout en restant très influencé par la Route difficile et ultra exigeante du père Doncoeur qui doit former une jeunesse forte pour redresser la France, le Pierre Schaeffer des années trente a constamment un soucis d’action sociale concrète pour le chrétien dans la cité. Ce deuxième point annonce un peu la Route d’Après-Guerre du père Liégé (un autre polytechnicien qui sera aussi aumônier du clan des Rois mages … at aumônier national de la Route).

Pour résumer, qu’apporte ce gros livre ?
C’est un édifice difficile à aborder et dur à comprendre, surtout pour quelqu’un qui n’est ni fan de Schaeffer et de sa bio, ni scout (et à fortiori routier, car c’est surtout de ça qu’il s’agit) ni catholique. Mais chez Schaeffer, la religion n’est jamais moralisatrice, et il y a toujours un esprit critique, voire même frondeur qui se balade d’une page à l’autre. De plus, ce livre aide à comprendre le mouvement Scouts de France, son esprit de croisade dans les années trente et du coup, on comprend mieux l'évolution (pendant et après la 2ème guerre). Enfin, Pierre Schaeffer a beaucoup d’humour, et même quand on est perdu au milieu d’interminables phrases (un tantinet proustiennes !), on est réveillé par des touches d’humour omniprésentes. Le dernier mot est à l’auteur :

« Mais tout de même on ne nous fera pas avaler ces trois cent pages de scouteries sans jamais desserrer les dents, non ? Comme s’il fallait tout prendre au sérieux ? »
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Pierre Schaeffer


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